Stratégies d’audience

  1. Vis-à-vis du prévenu

Il est fondamental d’afficher aux juridictions que l’on a du recul vis-à-vis de son client. C’est même une règle d’or de la défense pénale d’éviter une confusion quasi-systématique et instinctive de la part des magistrats aussi bien du siège que du parquet entre l’Avocat ou le défenseur judiciaire et la personne qu’il défend.

Afficher sa distance veut dire :

  • Même si lui ment, moi je ne mens pas ;
  • S’il a commis un acte délictueux ou criminel, j’assume la noble tâche de le défendre – son acte n’est pas le mien ;
  • Si lui s’enferme dans une défense stupide, je ne le suis qu’avec réserve et je lui ai conseillé le contraire ;
  • Je n’hésite pas à contredire le prévenu quand ça peut le servir et même à être sec avec lui.

Mais aussi et surtout :

  • Je suis un rempart entre vous et lui ;
  • Je lutte contre les préjugés à sa place ;
  • Je crois fondamentalement en ce que je vous dis ;
  • Le système pèse plus lourd que le prévenu : je suis là pour rétablir l’équilibre ;
  • Exercer la défense pénale c’est ne rien laisser au hasard d’un point de vue technique ;
  • Être un technicien du droit justifie de défendre n’importe quel acte, n’importe quelle cause.

Enfin, et c’est valable en toute circonstance, il faut TOUJOURS garder à l’esprit que souvent : LE PREMIER ADVERSAIRE C’EST LE CLIENT.

En ayant ceci à l’esprit, on peut alors envisager de poser des questions à celui ou celle que l’on défend. Toutefois, et même s’il n’existe pas de recette miracle, l’expérience démontre que certaines règles de base évitent les catastrophes :

  1. Ne jamais poser de question dont on ne connaît pas déjà la réponse ;
  2. Ne pas trop poser de questions non évoquées au préalable ;
  3. Expliquer au prévenu à l’avance qu’il n’y a pas de question piège de notre part et qu’il doit toujours répondre ce qui lui paraît le plus évident ;
  4. Poser des questions courtes et ne pas hésiter à les reformuler ou à les expliquer si le client s’égare ;
  5. Ne pas oublier que la réponse est destinée au Tribunal et le rappeler régulièrement au prévenu ;
  6. Il vaut toujours mieux laisser planer un doute (on pourra plaider) que d’avoir une réponse catastrophique (qui ne se rattrape pas).

De même il est fondamental de rappeler au prévenu qu’il doit toujours répondre au Parquet, à l’Avocat ou défenseur judiciaire de la partie civile et au Président de la manière la plus courte et la plus concise possible. Cela évite les dérapages.

  • Vis-à-vis des co-prévenus

La règle d’or est que l’on ne tire rien de profitable en « tapant » sur les autres. L’atténuation de la règle est qu’il ne doit pas y avoir pour autant de partage des responsabilités par confraternité.

Le résultat est que l’on doit être direct et franc lorsque l’on pose des questions au co-prévenu : il ne doit pas s’agir de faire le travail du Parquet, on ne cherche pas à l’« enfoncer », mais à dédouaner ou atténuer la responsabilité de son client.

La frontière est vite franchie entre question et accusation. En outre, l’interrogatoire du co-prévenu ne doit jamais se transformer en affrontement avec notre confrère qui le défend. C’est un gaspillage d’énergie et l’effet en est désastreux.

Il faut enfin et surtout se rappeler des règles relatives à son propre client: un doute se plaide, une certitude venue d’une réponse catastrophique à une question ne se rattrape pas. Donc, il est inutile d’insister au-delà de ce que peut renseigner le Tribunal.

  • Vis-à-vis des victimes et parties civiles

Une autre règle d’or est que le dernier à qui il faut s’en prendre c’est la victime. Il faut toujours s’adresser avec courtoisie, doucement et calmement à la victime. Il faut donner au Tribunal le sentiment que l’on comprend sa position, même si on ne la partage pas.

Ça veut dire que face à une victime qui ment, on doit parvenir à le lui faire admettre ou l’amener à se contredire tout en montrant qu’en tant qu’Avocat ou défenseur judiciaire on comprend pourquoi elle a pu mentir.

Il faut aussi rappeler à son client ce principe de précaution vis-à-vis de la victime. Ce n’est donc pas à l’Avocat ou défenseur judiciaire d’être agressif avec la victime sauf après qu’il soit apparu clairement qu’elle ment, invente, déforme, arrange, etc. Dans cette dernière hypothèse, il faut être ferme, voir désagréable dans ses questions en n’oubliant pas que d’autres pourront la défendre ou reprendre la parole. Il faut donc garder la majeure partie de son agressivité pour sa plaidoirie, à laquelle personne ne pourra répondre.

En résumé, on y gagne toujours à être conciliant avec les victimes, ça n’empêche pas de les contredire et ça évite de braquer tous les acteurs du procès sur soi.

En deux points, et pour être concret :

  1. Il est trop courant de voir lors d’audiences les Avocats ou défenseurs judiciaires de prévenus agresser les parties civiles, accentuant ainsi leur caractère de victime et compliquant la tâche de la défense ;
    1. A l’inverse, on voit également trop de défenseurs totalement muets face aux victimes et oubliant d’assurer le minimum de leur rôle de contradicteur à l’audience.

L’équilibre est délicat à trouver, il se situe à mi-chemin et dépend beaucoup de l’attitude de la victime. Il n’y a rien d’anormal à s’en prendre à un menteur éhonté compte tenu de l’enjeu pour celui qu’on défend, encore faut-il être certain que le menteur ment…