L’article 28 du Code Congolais de Procédure civile prône le principe selon lequel il n’y a pas de nullité sans grief en ces mots « aucune irrégularité d’exploit ou d’acte de procédure n’entraîne leur nullité que si elle nuit aux intérêts de la partie adverse ».
- Eléments de philosophie du droit
Le principe fondamental de Justice implique de répondre à la barbarie, quelle qu’en soit la forme, par les seules armes de la légalité. C’est là l’essence de la notion de procédure. Elle constitue les limites du chemin qui mène à la décision de justice et à l’idéal (souvent utopique) de paix sociale. La conséquence de ce principe est que tous les acteurs du processus judiciaire sont les esclaves consentants de la procédure. Le dernier échelon de ce processus est le magistrat. Entendons par magistrat autant celui du siège que celui du parquet.
S’agissant du siège, du magistrat qui juge, il ne tire sa véritable légitimité que de son respect scrupuleux des règles fondamentales. Plus que tout autre, il est celui qui annulera toute une procédure, relâchera un coupable qui reconnaît les faits, un monstre froid qui a assassiné, un escroc qui a ruiné des dizaines de personnes, parce que la règle de droit a été bafouée à un point tel que tout le dossier est entaché d’illégalité.
Cette annulation, ce scrupuleux respect de la procédure donnent au juge son véritable pouvoir de juger tous les autres dossiers, de condamner tous les autres coupables dès lors que la règle a été respectée. C’est là non seulement une fierté mais le sens de la mission de justice que les magistrats prêtent serment d’accomplir.
S’agissant du parquet, organe qui poursuit, qui accuse, comme tout magistrat, il ne saurait admettre d’œuvrer avec les armes de ceux contre qui il lutte. Enfreindre la procédure, c’est entrer dans l’illégalité au même titre que les voyous que l’on poursuit. Si l’on admet que c’est là le fondement du banditisme, c’est alors pour le magistrat la plus inexcusable des pratiques. Nul ne peut admettre que la poursuite ou le jugement des voyous soient confiées à des voyous en robe. Ce raisonnement est à la base de la Justice civilisée, démocratique.
Concrètement, il est du devoir du Parquet de requérir l’annulation d’une procédure douteuse comme il est de son devoir, au préalable, d’encadrer ses enquêteurs, de donner des consignes, de respecter et faire respecter la règle de droit. Il est aussi de sa mission, prescrite par le Code de Procédure Pénale, d’assurer que seront surveillés et sanctionnés les personnels qui agissent sous son autorité.
Là encore, c’est ainsi que le Parquet acquiert la légitimité de requérir avec toute la sévérité qu’il souhaite contre ceux qui sont jugés dans le strict cadre légal. En un mot, pour les policiers comme pour les avocats ou défenseur judicaire et les magistrats, respecter la procédure est avant tout respecter la déontologie fondamentale de chacune de ces professions. On ne peut participer à l’œuvre de Justice que d’une manière juste et légaliste. La seule manière est celle de la Procédure Pénale. Il n’y a qu’une justice, elle ressort du procès équitable et du respect des droits fondamentaux.
- Les cas de nullités
Dans les faits, et sans être exhaustif, on retrouve dans les procédures pénales au quotidien trois grands domaines susceptibles d’attirer l’attention sur la procédure :
- Les droits de la personne humaine
- Les droits de la défense
- Les principes de l’organisation judiciaire
Il n’est pas question ici de faire une liste (qui serait de toute façon toujours incomplète) de ce qui est susceptible d’entraîner une nullité de procédure. Il appartient à chaque acteur du processus judiciaire de relever ce qui est une violation caractérisée de la procédure et doit être sanctionné comme telle. Nous verrons que pour autant, tout manquement ne justifie pas une annulation. Le législateur moderne prend souvent la peine de préciser les cas d’ouverture à nullité. Il arrive également que seuls les grands principes soient abordés ou encore qu’ils soient sous-entendus simplement par la loi qui renvoie aux Principes Généraux du Droit.
L’article 11 de la Constitution de la RDC dispose que « tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Toutefois, la jouissance des droits politiques est reconnue aux seuls congolais, sauf exceptions établies par la loi ». Il est renchéri par l’article 12 qui dispose que « tous les congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ». De même, les alinéas 2, 3, 4 et 5 de l’article 16 prévoient que toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes mœurs. Nul ne peut être tenu en esclavage ni dans une condition analogue. Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Nul ne peut être astreint à un travail forcé ou obligatoire.
On va donc s’attacher à faire sanctionner les actes de police ou d’instruction qui seraient irréguliers (perquisition en dehors du cadre légal, avocat ou défenseur judiciaire non convoqué, violences physiques sur le suspect, etc.). Il y a d’abord les sanctions disciplinaires prises par l’autorité dont relève le juge, policier ou greffier fautif. Il y a ensuite les sanctions pénales qui peuvent être prononcées en cas de poursuite pour perquisition ou arrestation illégale, détention abusive, violences et tortures, etc. Il y a enfin les sanctions civiles issues des dommages et intérêts auxquels peut prétendre la partie lésée.
Nous nous intéresserons ici à la plus efficace des sanctions : la sanction procédurale. Cette sanction est susceptible de frapper les deux types usuels de nullités de procédure, à savoir textuelles et substantielles :
- D’une part, si le Code n’a pas institué de nullité textuelle très claire, relative aux interrogatoires ou aux arrestations, leur application ne fait cependant pas difficulté d’un point de vue théorique. En cas de problème d’aveu extorqué par exemple il conviendra de les faire annuler14. En pratique, il est évident que les avocats ou les défenseurs judiciaires devront produire des éléments de preuve concrets (témoignages, attestations, certificats médicaux etc.) pour que les juges sanctionnent. Il faut rappeler à ce sujet que si l’Avocat ou le défenseur judiciaire est le défenseur de ces principes et de ces droits, le magistrat en est le gardien. Il incombe en effet en premier chef aux Procureurs de « ficeler » leurs dossiers d’accusation et d’exercer un contrôle effectif sur les forces de police qu’ils dirigent en matière judiciaire et dont certains éléments (souvent marginaux) seraient tentés d’extorquer
des aveux. C’est sous les ordres et l’autorité du Ministère Public que les OPJ exercent dans les limites de leur compétence les attributions déterminées, voir article 1er Code Congolais de Procédure Pénale. Les Procureurs sont ainsi au premier rang de ceux qui peuvent inculquer l’inutilité de la pratique quant aux résultats : obtenir des aveux qui feront annuler toute la procédure est contreproductif. Le juge saisi d’une telle demande en nullité ne pourrait, dès lors que la torture (quelle que soit sa forme) est établie, que prononcer la nullité.
- D’autre part, la RDC, signataire de la plupart des textes internationaux garantissant les droits fondamentaux au nombre desquels figure une justice impartiale et équitable se doit de sanctionner tout autant les nullités substantielles qui pourraient entacher une procédure judiciaire.
La nullité de procédure existe en droit congolais lorsque :
- L’exploit n’est pas régulier, l’effet dans ce cas est la régularisation de l’exploit
- L’une des mentions substantielles que doit contenir l’exploit manque, ici l’effet est la nullité absolue
- Un délai n’a pas été respecté l’effet est la régularisation.
Le fondement légal se trouvera dans le Code de procédure pénale quand il organise les actes de police ou d’instruction. Les articles 2 et suivants du Code Congolais de procédure pénale. Le caractère substantiel de la nullité tient en ce qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit expressément prévue par le texte. L’idée de la nullité substantielle est donc la suivante : la gravité d’un manquement ou d’un acte positif est telle qu’elle porte atteinte aux intérêts de celui qui l’invoque et lui fait suffisamment grief pour encourir l’annulation même si celle-ci n’est pas spécifiquement prévue par les textes.
Cette deuxième catégorie se subdivise en nullités d’ordre public et nullités faisant grief (ou d’ordre privé). On peut alors distinguer d’une part les nullités substantielles qui touchent à la méconnaissance des principes touchant à l’ordre public et qui doivent être relevées même s’il n’y a pas atteinte aux droits de la défense. C’est le cas de l’absence d’une formalité, de l’incompétence de l’auteur, de la violation du C.O.J (Code d’organisation judiciaire) quant à la composition du Tribunal, etc.
Selon R.GARRAUD, il s’agit « des formes qui sont indispensables pour que l’acte puisse remplir sa fonction », c’est-à-dire pour J.PRADEL celles qui ne sont pas seulement protectrices des intérêts de parties mais qui sont relatives aux intérêts supérieurs de l’organisation judiciaire. Sans que la liste soit exhaustive, on peut citer encore : l’incompétence territoriale ou matérielle de l’enquêteur ou du juge d’instruction, l’absence de signature de l’ordonnance de désignation du juge. S’agissant des actes concrets de procédure : l’absence de serment des experts, l’absence des notifications essentielles, l’absence totale d’audition de l’inculpé, etc.
La jurisprudence s’établit au cas par cas et elle ne peut être que le fruit des décisions de la Cour Suprême en vertu d’une pratique restrictive ou non de la nullité qu’elle aura choisie.
D’autre part, on trouve les nullités substantielles (donc issues des principes et non prévues expressément par les textes) qui portent atteinte au droit de la défense.
On devra alors considérer (ce qui permet de pallier l’absence de nullités textuelles dans le Code de Procédure Pénale) qu’il y a nullité lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne.
On retrouve là, la notion de grief. L’idée de grief est fondamentale pour lutter contre une pratique dilatoire consistant à invoquer des nullités de détail. Il faut retenir que ce qui compte, ce n’est pas tant la gravité de l’irrégularité que l’importance du préjudice.
Ce principe entraîne une conséquence primordiale qui veut que tout ce qui porte atteinte aux droits de la défense fait nécessairement grief. Ainsi, et à titre d’exemple, même s’ils sont prescrits par le code mais pas à peine de nullité: la problématique de la garde à vue et autres mesures de contrôle (la détention est une exception au principe de la liberté individuelle d’aller et venir consacrée par l’article 17 de la Constitution sous les conditions requises à l’article 27 aux alinéas 1et 2 du Code de procédure pénale), de la preuve, des visites domiciliaires, perquisitions et saisies (l’article 3 du Code Congolais de Procédure Pénale), de l’absence de l’avocat ou du défenseur judiciaire, l’absence de mise à disposition du dossier, l’absence de notification des droits, de la visite médicale, de l’intervention d’un interprète pour une personne ne comprenant pas la langue, etc… sont des cas de nullités substantielles portant aux intérêts de la partie qu’elles concernent (en l’occurrence aux droits de la défense).
Dans le cas des atteintes aux droits de la défense, il doit y avoir présomption absolue de grief15.
On voit ici se profiler un double degré dans la sanction des nullités. En effet, pour se conformer aux standards démocratiques internationaux, il faut non seulement sanctionner les atteintes directes aux droits de la défense mais aussi les atteintes indirectes à ces mêmes droits. A savoir le fait de ne pas mettre les personnes en position de les exercer.
Pour mémoire, on rappelle que le seul fait de ne pas mettre un suspect en mesure d’exercer ses droits doit être une cause de nullité quand bien même il ne les aurait pas effectivement exercés. Ex : ne pas informer un suspect du fait qu’il a droit à l’assistance d’un avocat ou d’un défenseur judiciaire constitue une violation caractérisée des droits de la défense même si le suspect indique plus tard qu’il ne voulait pas d’avocat ou de défenseur judiciaire.
L’exemple ci-dessus vise à illustrer ce qui fait la différence entre un système judiciaire impartial et équitable et une justice qui ne le serait pas. C’est en sanctionnant ce manque d’information du suspect sur ses droits que le juge fait progresser ou maintient le système judiciaire à un niveau raisonnable.
Il ne saurait admettre et valider une procédure dans laquelle il aura été porté atteinte d’une manière ou d’une autre :
- A l’ordre public de l’organisation judiciaire
- A la présomption d’innocence
- Au droit à un procès juste, impartial et équitable
- A l’intégrité de la personne humaine
- Aux droits de la défense
- Aux formalités substantielles dès lors que cela fait grief
- La mise en œuvre des nullités
On relèvera ici que le prévenu peut faire des observations sur le billet de Garde à vue. De même, les observations lors des ordonnances de détention provisoire et de prolongation, les mémoires accompagnant les appels de ces ordonnances ainsi que les interrogatoires d’instruction sont des moments propices au soulèvement des nullités.
Il faut impérativement en faire usage lorsqu’il est question de détention provisoire car il s’agit là d’une arme fondamentale. On ne peut pas admettre en effet qu’une personne (toujours présumée innocente) soit placée en détention provisoire alors même que la procédure est peut-être entachée de nullité. Cette idée est insupportable au plan des principes.
Il faut alors faire le siège des juges et exiger qu’ils tranchent cette question de la validité de la procédure avant même de toucher à la liberté de l’inculpé (quand bien même il reconnaîtrait les faits).
Pour l’avocat ou le défenseur judiciaire se pose le problème de l’administration de la preuve quand la nullité est tirée d’une atteinte à la personne (voir stratégies de défense et entretiens). Dans les autres cas, c’est l’analyse très attentive du dossier de la procédure qui illustrera les manquements (défaut de signature, horaires de perquisitions, etc.).
On rappellera simplement que l’administration de la preuve s’agissant des nullités n’exclut pas, bien au contraire, les moyens traditionnels comme l’audition de témoins ayant vu des coups au poste ou lors des perquisitions par exemple, la fourniture de certificats médicaux, etc.
On rappelle que le défenseur a une double preuve à administrer :
- L’existence de la violation de la procédure (il doit donc toujours exister un texte)
- L’existence du grief causé à la partie qu’il défend A supposer la nullité démontrée, quels en seront les effets ?
Les effets de la nullité lorsqu’elle est admise sont également dans une certaine mesure l’illustration du choix de politique pénale qui a été fait.
Le Juge, comme le législateur peut se montrer restrictif ou libéral. La question se pose en ces termes : la nullité va-t-elle se limiter au seul acte irrégulier concerné ou s’étendre à la procédure ultérieure au motif que les actes constituent un tout qui aura été vicié par contagion (théorie de la jurisprudence américaine des fruits de l’arbre empoisonné) ?
A l’évidence c’est au seul juge d’en décider au vu de la gravité de l’irrégularité et des conséquences qu’elle peut avoir. Il est certain qu’une perquisition en dehors des heures légales n’aura pas les mêmes conséquences que la torture d’un suspect.
La gravité d’un acte de torture qu’il soit physique ou moral, sa prohibition universelle en droit international et en droit interne auraient justifié pleinement la rédaction d’une sanction spécifique du Code de Procédure Pénale. On peut toutefois se demander ce qu’il resterait d’une procédure dont les déclarations de culpabilité ont disparu. Certainement pas de quoi condamner leur auteur…
A titre strictement personnel, nous pensons que la liberté du juge et de la Cour Suprême est totale au plan des principes et peut s’exercer par l’existence d’un lien de causalité entre la nullité et les actes subséquents pour annuler ces derniers. Toutefois, il nous semble que la gravité de certaines atteintes procédurales et la violation des principes fondamentaux imposent d’annuler l’ensemble des actes subséquents et donc l’ensemble de la procédure en tout état de cause.
L’exigence d’un lien de causalité devrait également être appréciée au cas par cas.
A titre purement indicatif, le Juge français se situe à mi-chemin des deux théories qui s’opposent : il juge par exemple que d’un côté l’aveu consécutif à une perquisition irrégulière doit être lui-même annulé mais pas une expertise qui ne se réfère nullement à l’acte nul.
La règle générale est que ne doivent pas être annulés les actes postérieurs à une irrégularité qui n’est pas de nature à affecter par voie de contagion quelque autre pièce de la procédure. A contrario sont nuls pour la Cour de Cassation française les actes qui procèdent d’actes eux-mêmes annulés. S’il a le mérite d’une relative clarté, ce système peut être jugé insatisfaisant au plan des principes.
De nombreux états américains appliquent pour leur part la stricte théorie des fruits de l’arbre empoisonné. En tout état de cause, l’acte annulé est réputé n’avoir jamais existé et il ne saurait en aucun cas y être fait référence par aucune des parties.
On peut en outre envisager comme le font certaines législations européennes que sur ordre de la juridiction ces actes soient refaits de manière régulière s’agissant de nullités au caractère formel. En aucun cas un acte frappé d’une nullité substantielle de principe telle qu’une atteinte à l’intégrité physique d’un suspect ou d’un témoin ne saurait être refait valablement par la suite. En ce domaine, le respect de la règle est la mère nourricière de la légitimité judiciaire.
Très concrètement, il convient de soulever les nullités par voie écrite que ce soit lors de l’audience sur le fond ou à l’occasion des mémoires et observations pré juridictionnelles. L’intérêt de l’écrit est d’une part de permettre le respect du contradictoire en donnant copie au Parquet qui saura alors à quels arguments il devra répondre. D’autre part, le fait de déposer des écrits oblige la juridiction à répondre dans sa décision et facilite donc la censure par les juridictions d’appel le cas échéant.
Vous trouverez en fin d’ouvrage deux modèles de conclusions et mémoires articulant des nullités de procédure. Enfin, la plaidoirie au soutien de ces écrits doit être fondée sur les principes fondamentaux et analyser la jurisprudence nationale avec des décisions précises de la Cour Suprême pour faciliter le travail du Juge de première instance.