Elles se distinguent des stratégies d’audience ci-dessus en ce qu’elles sont des principes fixés avant l’audience entre l’Avocat ou défenseur judiciaire et celui ou celle qu’il défend et qui demeureront immuables jusqu’au délibéré.
Il est fondamental que ces stratégies soient communes au prévenu et à l’Avocat ou défenseur judiciaire, l’un ne pouvant les appliquer sans l’autre. Être un bon Avocat ou défenseur judiciaire c’est aussi avoir la pédagogie de faire admettre au prévenu ce qui est la meilleure défense et de faire en sorte (dans son intérêt) qu’il s’y tienne tout au long du procès.
Dans un cas particulier, à caractère nettement politique, c’est la position du prévenu qui impose une défense bien limitée à l’Avocat ou défenseur judiciaire: la rupture.
- Défense de rupture et défense de connivence
On appelle défense de rupture celle qui repose par principe sur la contestation de la légitimité du Tribunal. Elle signifie donc la remise en cause de l’autorité de l’état et de son pouvoir judiciaire.
Cette stratégie de défense est apparue dans les années 60 au cours des guerres de libération (notamment le conflit algérien) et il est difficile de savoir si les avocats ou les défenseurs judiciaires l’ont choisi ou si elle leur a été imposée par la position intangible des personnes qu’ils défendaient. Chacun peut être amené à assurer la défense d’une personne membre d’un mouvement politique ou ethnique rebelle, combattant pour une indépendance, une autonomie ou une révolution.
Ces personnes expliqueront à leur conseil qu’elles ne reconnaissent pas la légitimité du Tribunal qui veut juger leurs actes (souvent graves : terrorisme, assassinat, rébellion armée, etc.), ou pire encore découlant de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Dès lors, se pose un cas de conscience pour l’Avocat ou défenseur judiciaire qui, par hypothèse, est un des rouages de cette machine judiciaire contestée par l’accusé ou le prévenu.
La stratégie de défense quotidienne de l’Avocat ou du défenseur judiciaire en démocratie est une défense dite « de connivence » à savoir qu’il admet la légitimité du système auquel il appartient et participe. Il nous semble évident que cette appartenance ne doit jamais être remise en cause ou qu’alors il y a lieu de quitter le Barreau ou le corps des défenseurs judiciaires.
Il faut donc gérer un client qui conteste (à titre révolutionnaire) cette connivence mais en même temps exercer une réelle défense. Or, la déontologie de l’Avocat ou du défenseur judiciaire lui interdit formellement de plaider contre les intérêts du prévenu mais aussi contre ses souhaits.
Le résultat est souvent le même: le prévenu, s’il est cohérent doit demander à son Avocat ou son défenseur judiciaire de ne pas plaider pour lui puisque cela reviendrait à admettre le système judiciaire. L’Avocat ou le défenseur judiciaire ne peut toutefois servir de pure « conscience de
louage » et demeurer assis et silencieux bien que présent. Il doit soit renoncer, en audience, à la défense du prévenu (mais il arrive alors souvent qu’il soit commis d’office par le Président du Tribunal), soit expliquer, en préalable, cette position contestataire du prévenu et justifier ainsi son absence de plaidoirie et de défense. A noter que le client peut lui interdire de s’exprimer en son nom, ce qui pose un réel problème.
Dans tous les cas, il faut agir avec énormément de prudence. Se faire expliquer très précisément la position du client et ses souhaits en terme de défense. Il faut également, et c’est fondamental, l’informer très précisément sur les conséquences d’une telle défense en terme de peine (en l’occurrence souvent maximale). En outre, il sera nécessaire d’expliquer au tribunal dans quelle situation on se trouve en tant qu’Avocat ou défenseur judiciaire, tenu par ses obligations déontologiques et professionnelles tant vis-à-vis du prévenu que du Tribunal.
On ne recommandera jamais assez la prudence avant d’accepter une défense de rupture qui, par principe, est une non défense problématique. On rappelle que l’Avocat ou le défenseur judiciaire ne peut être qu’étranger à la cause de celui qu’il défend sous peine de perdre son indépendance et sa conscience qui sont l’essence même de sa fonction. Dans le même temps, il est de l’essence même de sa fonction d’assurer toutes les défenses…
Note : La position contestataire de l’accusé peut également se traduire par l’usage de la récusation et la suspicion légitime.
La doctrine congolaise définit la récusation comme une procédure par laquelle le plaideur demande qu’un magistrat s’abstienne de siéger parce qu’il a des raisons de suspecter sa partialité à son égard. Ainsi définie, la récusation a effet d’écarter un juge dans l’instruction ou le jugement d’une affaire déterminée10.
La suspicion légitime existe lorsqu’une partie au procès a des raisons sérieuses de craindre qu’une juridiction ne puisse rendre sa décision en toute impartialité.
Cette défense est constitutionnellement garantie par l’Article 19 de la constitution de 2006 telle que révisée en 2011, en ces termes : “Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent. Le droit de la défense est organisé et garanti.”
La loi organique N° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, en ses articles 49 à 62 dispose de la procédure à suivre.
- Culpabilité admise ou contestée
Il faut être très clair à ce sujet dans le but de produire une défense efficace. Nos systèmes civils ne connaissent pas en principe la pratique du plaidé-coupable, courante en droit anglo-saxon.
On pourrait donc en déduire qu’il est inopérant de se positionner sur ce point dans nos procès. A savoir, le client doit-il reconnaître les faits ou non ? Au quotidien, on constate pourtant que c’est en général la première question qui est posée au prévenu ou à l’accusé. Et cela semble logique.
En effet, d’une part, le Code Pénal Congolais – à l’instar de biens d’autres – connaît des circonstances atténuantes. Celles-ci ne sont pas automatiquement acquises dès lors qu’un prévenu reconnaît les faits bien entendu. Cependant, contester l’évidence revient à s’en priver à coup sûr.
D’autre part, l’inconscient du Tribunal, comme l’inconscient collectif est sensible à la reconnaissance des faits et ce, pour des motifs divers qui varient d’une personne à une autre.
Nombre de magistrats du siège comme du parquet, nous ont indiqué en privé, avoir une approche bienveillante des dossiers reconnus. Les raisons majeures sont la perte énorme de temps lors des audiences au rôle chargé et l’énervement des juges face aux contestations envers et contre tous.
En ce sens, l’Avocat ou le défenseur judiciaire doit respecter une règle d’or s’il veut plaider utilement les circonstances atténuantes ou la personnalité du prévenu : ne jamais s’attarder inutilement sur le détail des faits qui sont reconnus. Il y a en effet tout intérêt à maintenir le Tribunal dans de bonnes dispositions en gagnant du temps ou plus exactement en n’en perdant pas inutilement.
Attention toutefois:
- La Justice n’est pas une question de bilan sur le temps d’audience ;
- S’il est nécessaire de revenir sur certains faits (reconnus partiellement ou pour les minimiser), il est du devoir de l’Avocat ou du défenseur judiciaire de le faire.
Ce sujet, qui peut parfois paraître de détail, a cependant des répercussions immédiates et à long terme. Immédiates car le Tribunal sera souvent d’une plus grande sévérité ; à long terme, car l’Avocat ou le défenseur judiciaire qui plaide engage la crédibilité de sa propre parole. Nier les évidences (d’une empreinte dactyloscopique par exemple comme on le voit trop souvent) est un moyen radical d’entamer à tout jamais sa crédibilité vis-à-vis du Tribunal. Or, la carrière d’un Avocat ou d’un défenseur judiciaire n’est pas limitée à un dossier mais dans des centaines d’autres que l’on plaidera au fil du temps, souvent devant les mêmes magistrats. Arriver devant un Tribunal qui ne vous considère pas comme crédible est un obstacle souvent infranchissable.
Dès lors, il vaut souvent mieux, si l’on ne parvient pas à faire admettre à une personne qui nie l’évidence que son mode de défense est suicidaire, renoncer à l’assister plutôt que plaider des aberrations en trahissant son serment et en entamant sa propre crédibilité vis-à-vis des juges.
En résumé, il est primordial de fixer sa position dès le début de l’audience et, si l’on est persuadé que cela peut aider le prévenu, inviter celui-ci à reconnaître ce qui n’est pas contestable (attention à ne jamais l’amener à reconnaître des faits qu’il n’aurait pas commis).
Dès lors, on pourra concentrer sa défense sur les circonstances atténuantes et sur la personnalité du prévenu pour atténuer au maximum la peine ou proposer au Tribunal des solutions alternatives.
Ce mode de défense, quand les faits sont reconnus, se prépare avec la même rigueur qu’une contestation des faits ou des aveux.
Il faut :
- Avoir ciblé l’entourage du prévenu ;
- Avoir des éléments sur son histoire personnelle ;
- Avoir des avis sociaux sur son passé (éventuellement en prison) ;
- Avoir des documents médicaux si nécessaires ;
- Solliciter la désignation d’experts médicaux ou psychiatriques au besoin ;
- Eviter les lieux communs.
L’avenir des individus peut en partie se lire dans leur passé qui l’influence. Encore faut-il connaître ce passé.
Dans l’hypothèse où les faits seraient contestés, il demeure nécessaire de se fixer une position de défense et d’y axer son argumentaire.
Deux axes majeurs sont possibles11:
- La contestation pure et simple : il n’y a pas lieu de s’étendre sur cet axe de défense si ce n’est pour rappeler que l’avocat ou le défenseur judiciaire n’a déontologiquement pas le droit de plaider contre les déclarations de celui qu’il défend. Il faut donc une synergie entre les deux et une constance dans la contestation et la démonstration.
Il y a lieu, et c’est un paradoxe au vu des développements ci-dessous, de construire la contestation sur des faits concrets (par citations de témoins, fourniture d’éléments matériels, etc.) pour aller à l’encontre de l’accusation. C’est un choix de défense qui impose ce cheminement démonstratif et non la contestation des charges du Parquet auquel cas, il faut être précis sur leur insuffisance. Il peut être utile, dans le cas de dossiers complexes ou si l’on veut forcer le Tribunal à répondre sur des points précis en vue de l’appel, de déposer des conclusions aux fins de relaxe12. Le principe du contradictoire impose de les transmettre au Parquet. Il est toutefois conseillé de ne pas les transmettre trop tôt au risque de voir le Ministère Public diligenter des actes pour combler les carences que les conclusions ont mis en lumière. Encore une fois, tout est une question d’équilibre dans la stratégie.
- L’absence de charges suffisantes : pour déclarer une personne coupable, le juge doit être convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du prévenu ou de l’accusé. Si un doute subsiste quant à la culpabilité du prévenu ou de l’accusé, ce doute doit lui profiter13, c’est-à-dire qu’il devra être acquitté ou relaxé « au bénéfice du doute ». L’absence des charges suffisantes contre le présumé auteur de l’infraction le décharge. Le doute profite à l’accusé, ou « in dubio pro reo », est un principe général du droit.
Force est d’admettre cependant que le terme « bénéfice du doute » est totalement
insatisfaisant. Cette notion même de doute semble vouloir peser également sur le jugement qui sera rendu, lui aussi douteux.
De même si relaxe il y a sur cette base, l’innocence du prévenu paraîtra également douteuse alors même qu’elle aura été reconnue par une décision de justice ayant autorité de la chose jugée. Surtout et enfin, le prévenu ne bénéficie pas du doute (comme s’il était présumé coupable mais s’en tire bien pour cette fois). Il bénéficie au contraire de la présomption d’innocence.
L’analyse juridique est fort simple, elle est la suivante : la présomption d’innocence est un principe fondamental et immuable qui s’applique à toutes les procédures judiciaires jusqu’au prononcé d’une décision définitive (article 17 de la Constitution de la RDC).
La conséquence première est que la charge de la preuve pèse exclusivement et uniquement sur l’accusation qui doit établir la culpabilité. C’est le sens du principe « actori incumbit probatio ». C’est celui qui accuse qui a la charge de prouver l’existence de l’infraction. Le principe de sécurité juridique impose que cette culpabilité soit démontrée et établie avec une certitude absolue et qu’il ne subsiste pas la moindre incertitude à ce sujet.
Cela illustre l’adage judiciaire sur lequel repose un système équitable : mieux vaut cent coupables libres qu’un seul innocent condamné. Ceci n’est pas un choix ; c’est une obligation légale n’en déplaise aux ultra répressifs.
Dès lors, si le Ministère Public, n’est pas parvenu à établir la culpabilité d’un suspect intégralement, celui-ci doit être relaxé. Il n’appartient en aucun cas à la défense d’apporter le moindre élément de preuve de l’innocence.
Il est évident dans les faits que la défense se bat avec des éléments qu’elle pense aptes à démontrer l’innocence du prévenu. Il faut bien sûr ne pas s’en priver. Cependant, il est fondamental de toujours rappeler le principe ci-dessus et de dépenser une énergie considérable dans la démonstration des carences du dossier de l’accusation avant de s’engager dans la démonstration de l’innocence. L’inverse est illogique et pourtant, il s’agit là d’un réflexe que nous avons tous et qui, peu à peu, installe une pratique contraire à la présomption d’innocence. Rappelons qu’il est difficile d’apporter une preuve négative (ce que l’accusé n’a pas fait) et qu’il est bien plus facile de démontrer les lacunes de l’accusation (ce qu’elle ne démontre pas).
Disons donc les choses clairement au Tribunal et à l’accusateur et refusons de laisser croire qu’une relaxe est acquise « au bénéfice du doute ».